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Massif du Chenaillet


Fragment d’une ancienne croûte océanique remarquablement conservée, le massif du Chenaillet (Hautes-Alpes), situé à proximité des sources de la Durance, sur la commune de Montgenèvre, témoigne de l’existence d’un ancien océan alpin (de – 160 à – 60 millions d’années) et constitue de ce fait un site géologique exceptionnel.

De nombreuses excursions scientifiques et travaux internationaux ont eu lieu sur ce copeau de fond océanique porté à 2500 mètres d’altitude lors de la formation des Alpes. Si ce massif est connu pour ses richesses géologiques, il révèle également une diversité floristique intéressante.Bien qu’exceptionnel, ce site fait l’objet de dégradations qui pourraient se poursuivre s’il n‘est pas protégé rapidement.

1.Une géologie exceptionnelle

Une excursion sur ce site à 2500 mètres d’altitude permet d’observer le même cortège de roches que celui que l’on trouve actuellement au niveau de la croûte océanique, lors de plongées sous-marines à plus de 2000 mètres de profondeur. Nous pouvons distinguer deux ensembles de roches : des roches magmatiques (et les roches en dérivant) et des roches sédimentaires.

Les roches magmatiques (au sens large) sont le plus souvent des roches basiques ou ultra basiques, riches en fer et en magnésium. Elles ont pour origine la fusion partielle (15 à 25% de la roche initiale “fond’) du manteau supérieur sous l’effet d’un réchauffement local. Au col du Gondran ou en montant du lac du rocher de l’Aigle au col de Souréou, nous pouvons observer les serpentinites, roches compactes, vert foncé, souvent veinées. Elles résultent de la transformation de roches du manteau.

      

En suivant le sentier le long de l’arrête sud-ouest, nous traversons un éboulis de gabbros, roches formées de gros cristaux blancs de feldspath et bruns de pyroxène. La présence de ces gros cristaux témoigne du refroidissement lent, en profondeur. Ces gabbros sont très variés et sont parfois recoupés par des filons de diabase ou d’albitite. Un beau filon d’albitite est visible sur le versant sud du col du Gondran. Il a été exploité pour empierrer les routes militaires de ce secteur.

Arrivés à 2500 mètres d’altitude, le long de cette arête, nous commençons à rencontrer les formations géologiques les plus spectaculaires du site. Ce sont les laves basaltiques de couleur verte,  en forme de polochons, appelées classiquement laves en coussins ou “pillow-lavas”. Les plus belles laves en coussins sont visibles au sommet du massif à 2600 mètres d’altitude, au collet vert et vers le lac de Chaussé.

       

Les pillow-lavas sont caractéristiques de  mise en place au contact de l’eau et témoignent donc d’un volcanisme aquatique, le plus souvent sous-marin, au niveau de dorsales océaniques. Lorsque la lave, dont la température atteint près de 1100°C arrive au contact de l’eau ,la partie la plus périphérique refroidit brutalement pour former un verre basaltique. Ce verre est rapidement pulvérisé pour constituer une sorte de poudre qui recristallise pour donner une hyaloclastite (du grec hyalo verre et klastos brisé). Au fond de la coulée basaltique, la hyaloclastite provoque la formation en boule du basalte. La lave s’écoule dans le sens de la pente à l’intérieur d’une sorte de tube dont les parois sont formées par la partie périphérique du coussin, refroidie rapidement, donc plus rigide. La falaise du Collet vert est formée par un empilement de près de 200 mètres de pillow-lavas. Le massif du Chenaîllet est caractérisé par la remarquable conservation de ces laves en coussins.

Sous la hyaloclastite, noyée dans le basalte vert, se trouve une zone de pustules blanchâtres formées par une cristallisation particulière d’un feldspath blanc. Cet aspect évoquant la variole a valu à cette roche le nom de variolite de la Durance.

Les roches sédimentaires, essentiellement calcaires et radiolarites peuvent être observées au niveau du replat du Gondran à l’ouest du Chenaillet, sous forme d’un pli couché. De très belles radiolarites rouges et vertes (selon leur degré d’oxydation) sont observables en montant vers le sommet des Anges. Ces roches sédimentaires se sont constituées à partir de sédiments déposés sur le fond océanique et donnent une bonne représentation de  la couverture des laves en coussins.

2. Une grande diversité floristique

Le massif du Chenaillet révèle également une grande diversité floristique. Depuis sa création en 1988, Arnica Montana a pu effectuer, au cours d’excursions dans le massif du Chenaillet, un certain nombre de relevés botaniques. Ces données ont été complétées par une liste de plantes extraite de la base de données du CEEP (Espaces naturels de Provence Alpes du sud) et de la Société alpine de protection de la nature. Au cours de l’été 2001, une étude du Conservatoire botanique National Alpin de Gap Charance a complété les données floristiques. Au total, plus de 880 espèces et sous-espèces de plantes dont certaines sont très rares,ont été recensées dans l’ensemble du massif (sans compter les lichens). Onze espèces sont protégées par arrêté ministériel (protection Nationale par arrêté du 20 février 1982 et du 31 août 1995, ou régionale par arrêté du 9 mai 1994). Dix sont concernées par  l’arrêté préfectoral réglementant la cueillette de végétaux dans le département des Hautes Alpes (arrêté du 14 décembre 1992). Dix huit espèces figurent dans le livre rouge National, 5 espèces sont concernées par la Directive habitat. Cette grande diversité végétale peut s’expliquer par la variété de composition chimique des roches du massif. On trouve des plantes de terrains calcaires et des plantes de terrains siliceux. Parmi les plantes intéressantes du massif, figure le saule helvétique (Salix helvetica), seule station actuellement connue dans le Briançonnais. Ce saule pousse ici dans l’éboulis à gabbros.

En dehors du milieu forestier (mélézin), les végétaux se répartissent dans cinq grands types de milieux  : pelouses, milieux humides, landes et landines, rochers, éboulis.En direction du col des Gondran, la pelouse subalpine est caractérisée par de grosses touffes de Fétuque paniculée (Festuca paniculata). Plus près du col, cette graminée est remplacée par une autre Fétuque, plus petite, aux fleurs violacées, la Fétuque violette (Festuca violacea). Cette pelouse renferme une grande diversité de plantes souvent colorées comme l’Arnica des montagnes (Arnica montana), l’Oeillet négligé (Dianthus pavonius), l’Ancolie des Alpes (Aquilegia alpina) reconnaissable à ses éperons nectarifères bleus. Cette dernière plante, figurant sur la liste nationale des plantes protégées, est menacée par le nivellement des pistes de ski.

Dans les zones humides (bordures de ruisseaux, marécages, lacs), nous rencontrons de nombreuses plantes caractéristiques comme la Ciboulette (Allium schaenoprasum), la Gentiane de Rostan (Gentiana rostani), plante assez rare des pelouses humides, endémique des Alpes du sud.

La présence de traces de roues, notées en été 1994 dans les zones humides situées au pied du massif, témoigne de la circulation, illicite, de véhicules tous terrains dans ces milieux fragiles.

Dans deux secteurs du massif se trouvent de petites tourbières à Sphaignes dont une se présente sous forme de radeaux flottants, ce qui est unique dans le département des Hautes Alpes. Les sphaignes, protégées dans le département des Hautes-Alpes, sont des végétaux proches des mousses. Les tourbières à Sphaignes sont inscrites dans la liste euro­péenne des milieux à protéger (directive habitat). Les sphaignes sont adaptées à des milieux acides, pauvres en éléments nutritifs. L’organisation microscopique de la feuille permet à cette plante d’accumuler de l’eau.

Les landes renferment une flore plus classique avec l’airelle bleue (Vaccinium uliginosum), la myrtille (Vaccinium myrtillus), la gentiane ponctuée (Gentiana punctata).

Les rochers basaltiques de haute altitude présentent des conditions de vie particulièrement difficiles. La végétation adaptée à ces milieux inhospitaliers renferme des plantes souvent rares et protégées. Nous citerons le Génépi jaune (Artemisia umbelliformis) dont la cueillette est réglementée dans le département des Hautes-Alpes par arrêté préfectoral, et la Primevère à large feuille (Primula latîfolia).

Par leur instabilité et leur pauvreté en terre, les éboulis sont des milieux particulièrement inhospitaliers où seules les plantes adaptées peuvent s’installer. Parmi les nombreuses plantes qui poussent dans les éboulis du Chenaillet, nous citerons le Bérardie à courte tige (Berardia subacaulis), protégée au niveau national, a survécu aux glaciations quaternaires.

La végétation lichénique de ce site est également très riche. Lors de la session 1991 de l’Association française de lichénologie, nous avons recensé cent cinquante espèces de lichens (dont trente-six en milieu forestier). Dix espèces sont rares ou assez rares, deux ne sont connues actuellement en France que dans le massif du Chenaillet, ainsi qu’un champignon parasite de lichens.

Parmi les lichens facilement identifiables, nous citerons l’Acarospore (Acarospora oxytona) poussant sur les parois verticales de basaltes et de gabbros. Observé de loin, ce lichen a l’aspect de taches de peinture jaune vif.

3. Un site qu’il est nécessaire de préserver

Malheureusement des travaux d’extension du domaine skiable ont entraîné des dégradations de certains affleurements de roches. En particulier, de magnifiques laves en coussins situées près du lac de Chaussé ont été recouvertes d’une couche de terre ayant pour origine la construction d’une piste. En 2001,  un terrassement a été réalisé (sans aucune concertation) dans les éboulis à Gabbros, dont certains secteurs renferment des plantes rares et protégées.

Depuis plus de dix ans, ARNICA MONTANA et la S.A.P.N. (Société Alpine de Protection de la Nature) avec l’appui de France Nature Environnement, essayent  d’obtenir le classement de ce site. Grâce aux interventions de ces associations et au travail de terrain réalisé par ARNICA MONTANA (relevés botaniques, localisation des affleurements géologiques remarquables, localisation des plantes rares, étude cadastrale…) de nombreuses réunions avec les administrations, les élus ont eu lieu, parfois sur le terrain. En 1995, ARNICA MONTANA recevait le soutien de la Société Géologique de France dans ses démarches pour la préservation du Chenaillet. En 1996, suite à une intervention de Madame Corinne Lepage  alors Ministre de l’Environnement (sollicitée par ARNICA MONTANA), on s’acheminait vers la création d’une réserve naturelle volontaire. Alors que nous étions  pratiquement arrivé au but, des changements ministériels, administratifs, municipaux ont de nouveaux ramenés les projets de préservation au point mort et de nouvelles dégradations ont vu le jour.

Depuis plusieurs années nous avons noté la présence d’une station d’Ancolie alpine (Aquilegia alpina), espèce protégée au niveau national (annexe 1),  dans une pelouse du Gondran non loin du restaurant d’altitude. Cette station avait d’ailleurs été montrée à des responsables de la station. Alors qu’en juillet 2002, nous pointions 58 pieds d’Ancolie alpine, quelle ne fut pas notre surprise de constater en juillet 2003 que la majorité de la station avait été détruite par un nivellement de piste de skis et de travaux pour l’installation de canons à neige. Alors que, lors des jeux olympiques d’Albertville, un virage a été créé pour éviter une station d’Aquilegia alpina, à Montgnenèvre, la piste a détruit la majorité des plants de ce secteur.

 

Lors de nos excursions de 2003, nous avons constaté l’assèchement par drainage de plusieurs zones humides pour le nivellement de pistes de skis. Une retenue collinaire de 85 000m3 d’eau,  pour l’enneigement artificiel (alors que les besoins étaient estimés à 30 000m3 lors du projet de 2001). Les travaux de ce réservoir entament une butte qui abrite en amont, des bombements flottants de tourbière acide à Sphagnum, les seuls du département des Hautes Alpes. Les tourbières acides à Sphaignes sont des habitats d’intérêt communautaire au titre de la Directive européenne Natura 2000. Il est à craindre que ces travaux entraînent le drainage et donc l’assèchement de cette zone située aux sources de la Durance. Une étude hydrologique serait donc nécessaire et urgente pour préciser l’impact de la retenue collinaire (en particulier de son alimentation en eau) sur cette tourbière et d’envisager les mesures à prendre pour sauvegarder ces radeaux à Sphaignes très rares.

Outre l’intérêt botanique de ces zones humides, il ne faut pas oublier que les tourbières, jouant un véritable rôle « d’éponge », retiennent l’eau et régularisent son écoulement en cas de gros orages. Leur destruction est donc susceptible d’aggraver les risques de catastrophes naturelles. Nous ne pouvons donc qu’être inquiet de la généralisation de la destruction des tourbières et autres marécages de montagne, en particulier pour l’extension des domaines skiables.

Le 9 octobre 2003 lors d’une excursion dans ce secteur, nous avons eu la désagréable surprise de constater qu’une partie non négligeable du lac de la « Sagne en Fonza » , zone qui renferme également des plantes protégées, a été labourée par des engins chenillettes. D’autres traces ont également été  notées à proximité dans  le lac des Sarailles et dans le remarquable marais du Bourget des fonts de Cervières, renfermant de nombreuses espèces végétales très rares et protégées.

Il est regrettable que des travaux continuent d’avoir lieu (exemple : création d’un sentier dans un éboulis renfermant une station de plante très rare, endémique,  protégée par arrêté ministériel) sans aucune concertation avec les naturalistes, contrairement à  ce qui se passait lors de l’instruction du projet de réserve  naturelle volontaire.

Il est urgent que des mesures de préservation et de gestion durable du massif du Chenaillet et des sources de la Durance soient enfin prises avant que les richesses naturelles floristiques et géologiques qu’elles abritent, exceptionnelles et uniques dans l’arc alpin, ne soient irrémédiablement atteintes.

Pour obtenir plus de renseignements, vous  pouvez consulter la brochure éditée par ARNICA MONTANA « Roche et végétation d’altitude : le site remarquable du massif du Chenaillet ». Commander la brochure.